Pourquoi le soldat O est-il mort ?
Pas au bout des fusils de l’ennemi comme il est naturel selon les lois de la guerre. Mais tombé sous les balles de ses frères d'armes. Pas par le hasard tragique d'une erreur de tir comme il en existe naturellement dans toute guerre qui fait de son mieux et n'y parvient pas toujours. Mais dans le calme terrible et ordonnancé d'un peloton d'exécution.
A qui le soldat O doit-il de n'avoir pas eu le temps de montrer le courage et la loyauté qu'il s'était promis face à l'ennemi ? A Montesquieu ? Michelet ? Victor Hugo ? Balzac ? Taine ou Daudet... ? Pas encore à Céline ou Alexis Carrel. L'ombre de nos grands écrivains n'a-t-elle pas scellé par avance le sort du soldat O ? L’immense poids de leur renommée n’a-t-il pas eu sa part de responsabilité dans son destin tragique?
Sur un fond de légèreté va-t-en-guerre entretenue par une Madelon exaltant le courage des "piou-piou de Provence", le Soldat O écrit entre deux obus. Il parle du trou creusé et recreusé dans la boue pour s'enterrer, des godasses qu'il a empruntées à celui qui n'en avait plus besoin - « il a fallu chercher pour enlever la deuxième à l'autre pied, un peu plus loin » - du dernier colis, du papier à lettres qui ne supporte pas la pluie d'ici.
La Madelon, omniprésente, le remet debout par la magie de son exhortation aux charmes débordants. Pendant que le soldat O raconte, des images défilent derrière lui. Celles d'une caméra qui fait ses premiers pas dans la vérité de la guerre. L'image bascule. L'opérateur n'a peut-être pas vu venir l’obus qui… On appelle le soldat O. Pour la relève ou pour monter à l'attaque? Il reviendra dans son nid de poule, blessé au pied.
Le Soldat O sera donc fusillé.
Alors le soldat O se souvient. Il se souvient, puisque cela a été écrit, qu'il ne peut être qu'un lâche parce qu’il est du Midi. Il va alors se prêter, dans un procès tragi-comique, au jeu de l'ethnotype méridional auquel il était condamné par avance, un procès conduit par les plus emblématiques de nos grands écrivains, philosophes, historiens qui, à travers leurs écrits sur le Sud, sont étonnants de mépris, d'ironie voire d’hostilité. Un procès qui suscite des rires parfois grinçants et ébranle les gloires les plus immortelles.